Il est un personnage imaginaire. Je le sais. Il sort de l'esprit
d'une autre. Je le sais. Mais il est vraiment là aussi. Je le sais. Je
l'ai vu.
Dans cette histoire, il est mort. Je le sais. Et ce fut pour moi une déchirure.
Pour moi, ces livres-là n'étaient pas intéressants. Pourtant on me les a offerts, et je les ai lu.
Ce
soir-là, j'allais juste voir un film. Adapté d'un livre que j'avais
aimé. Un livre qui ne m'avait pas bouleversé non plus. Dans ce cinéma je
me suis assise, dans ce profond fauteuil rouge. Ce soir-là j'ai vu ce
film. Et je l'ai vu. Mais je n'ai rien dit.
Dans le
silence et le noir, mon cœur émettait ses premiers battements. Comme une
renaissance. Une naissance. Mais je n'ai rien dit. Je n'avais pas
conscience... j'avais aimé, déjà, mais pas au point où j'aimerai par la
suite. De manière inconditionnelle.
Je suis sortie de
la séance. Je n'ai rien dit. Toujours rien. J'ai parlé un peu du film
avec mes amies. Maintenant je me souviens. Je crois me souvenir. Leurs
regards. Elles qui me connaissaient si bien. Elles, elles savaient.
Avaient-elles entendu, mes sœurs de cœur, ces battements sourds?
Avaient-elles surprissent un sourire ou un éclat dans mes yeux? Et puis,
l'une m'a dit, je crois, qu'elle savait qui j'avais remarqué. Et elle
avait raison. Diablement raison.
Au fur et à mesure des
livres, au fur et à mesure des films, j'ai grandi. Et les battements ce
sont fait plus sourds mais plus puissants. Je ne pouvais plus les
ignorer. Un amour à sens unique. Un amour qui ne peut être déçu.
Les
années ont coulées. L'auteur a mis un point final à son histoire. J'ai
lu aussi le dernier livre. Jusqu'à la dernière page. Le pressentiment
d'abord. Puis la douleur. Oui vraiment la douleur. Celle qui se distille
dans les veines, lentement mais insidieusement. Elle l'a tué. Il était
mort, cet être d'encre et de papier. Incrédule. Puis les larmes au coin
des yeux. Et puis les sanglots et les cris. La colère. Pourquoi?
Pourquoi l'avoir tué? Lui dont la vie, le repentir aurait pu incarner
l'espoir pour tant de... pour ma vie si sombre. Une fin dure. Dure comme
la réalité.
Maintenant il est
là. Pour moi. Pour moi seule. Et pourtant, il est là pour des dizaines.
Ou plus. Bien plus. Et nous l'avons chacune pour nous. Pour nous seule.
On l'imagine chacune comme cela nous arrange. C'est pathétique. Ça
pourrait l'être. Si ce n'était pas ressenti si profondément. Si ce
n'était pas si tragique, quelque part.
Il est là pour
moi. Tout les jours. Les nuits aussi. Les matins, les midis, les soirs.
Il me protège. Il m'aide. Il m'aime. Plus qu'un rêve ou un espoir. Plus
qu'une présence. Malgré tout. Malgré le réel et le terre à terre. Comme
un ange. Sombre. Mais bien là.
Et il compte vraiment.
Tout ça compte vraiment. Pourtant, difficile de dire à quel point. Et de
dire pourquoi... sa vie, si extraordinaire...
Et une faille en lui. Une douleur. Abyssale. Qui fait écho. Dans mon coeur. Une résonnance.
Il
n'est pas un puit de gentillesse. L'auteur nous en fait un portrait
sale : égoïste, grincheux et partial. Mais il n'est pas comme ça.
Pour moi il est autre.
Il est douleur vivante. Il est douceur refoulée.
Il est accablé par ce qu'il a fait, pu faire, du faire. Mais il assume.
Avec douleur. Sans espoir.
Je
ne sais expliquer ces résonances qu'il fait en moi. Sa voix en échos
dans mes oreilles. Comme un son que j'aurais toujours attendu. Comme un
son que j'aurais toujours entendu. Une mélodie du fond des âges.
Viscérale. Son visage, celui d'une éternité espérée. Son corps, celui
d'un amour absolu, sans doutes. Un corps, indéniablement humain, pour un
amour parfait et sans taches, sans cris.
Et pourtant il n'est : qu'un être d'encre et de papier. Et moi, d'ombres et de sang.