mardi 10 décembre 2013

Douleur

Ce n'est pas que je n'y pense jamais.
Je m'efforce de ne plus y penser.
Mais souvent
– trop souvent –
je revois son visage.

Il y a longtemps que je ne compte plus les jours et les mois qui passent. Ce soir ne devait pas être différent des autres soirs de rentrée... toujours cette même bande de cornichons à qui l'on tente de faire retenir quelque chose. L'arrivée en pagaille des élèves, la cérémonie du Choixpeau, le banquet. Non un soir pas différent des autres. De toutes ces rentrées que je vis depuis une éternité. L'admission – si prévisible ! - du fils de Lucius chez Serpentard. J'aurais peut-être du me sentir fier, que cette tête blonde – mon filleul! – suive les pas de son père. Mes propres pas aussi. Mais ça ne m'a fait ni chaud ni froid. Et puis, la surveillance du château, les missions particulières pour Dumbledore, la vigilance à garder avec les Mangemorts.... Tout semblait s'écouler normalement. La vie, triste, morne et grise déroule depuis longtemps des évènements qui ne m'atteignent plus.

Mais ce soir-là n'était pas comme les autres soirs. La vieille MacGonagall déroula son parchemin. Elle égrainait les noms, je l'écoutais distrait, poursuivant une discussion avec Quirell. Et puis, dans un silence, ce nom résonna. Qu'il soit maudit ce nom!!
Harry Potter !
Elle aurait prononcé James Potter que ça ne m'aurait pas plus retourné l'estomac. Corne de dragon et sang de vipère! Je me suis repris, me concentrant sur Quirell et ses bégaiements ininterrompus.

Il me regardait avec la même insolence qu'avait son père. Cette tignasse mal peignée, ces lunettes rondes... cette cicatrice! Déjà je l'exécrais. Mais la vie n'est qu'une succession d'injustices. Potter en était une de plus.

L'année s'est écoulé lentement. Je supportais plus ou moins bien la vue du petit prodige. Son nom également, prononcé à tous les coins du château par des élèves curieux ou admiratifs. Je n'ai jamais compris ce qu'il pouvait y avoir d'extraordinaire d'être le camarade d'un tel animal de foire. Mais ma situation de professeur me donnait les quelques avantages que je n'avais pas eu avec James et sa bande de Maraudeurs. Les points de Griffondors baissaient invariablement dans ma classe. Car je devinais chez le fils la même insupportable insolence qui m'avait rendu le père si antipathique. La célébrité de Harry lui concédait d'être un héros.
Un HEROS!!
Pauvre Potter, aussi fainéant et imbu de sa personne que son salaud de paternel!
Un héros!!
Pfff.

Je savais qu'Albus m'observait quand nous nous trouvions tout les deux en présence de Celui-qui-a-survécu. J'avais promis au directeur de veiller sur le fils Potter … je savais que les dix ans écoulés ne me défaisait pas de ma promesse; et Dumbledore savait ce que ça me coûtait. Mais comme je l'ai écrit plus haut, une injustice de plus dans un morne quotidien. J'en affrontais des pires chaque jour; même les nuits étaient agitées d'évènements bien plus affreux. Mais mon cœur, au froid du cachot, restait impassible, endormi, comme mort. A ce titre, je ne souffrais plus.

Vint cet après-midi de printemps. Je vis Potter et son golden trio, sortir de la classe de Minerva. Je les voyaient comploter ; je m'approchais alors, méfiant et menaçant … l'échange fut bref et sans importance.

Sauf ses yeux.
Les yeux de Potter.

Il n'avait pas suffit à mon malheur que Harry ressembla de physique et de caractère à son père. Il avait fallu que le grand Potter ait les yeux de sa mère.

Ce regard qu'il me jeta, plein de méfiance et de suspicion … ce regard était celui de la douce Lily.

MA douce Lily.

J'avais tenté d'enfouir ce souvenir au plus loin de ma mémoire, sans succès. Ce regard, elle l'avait eu le jour où je voulu lui expliquer, lui présenter ceux que j'appelais alors mes amis. J'étais fier de ma place parmi eux, je voulais faire de Lily ma princesse. Ce regard de Lily – de Harry – brisa la gangue de glace de mon cœur. J'ai soutenu ce regard et puis, n'en pouvant plus, je tournais les talons.
Je n'ai pas couru jusqu'aux cachots qui me servent d'appartements. Je suis resté Rogue, jusqu'au bout, distribuant les retenus, bousculant tout sur mon passage, la cape ouverte aux vents. J'étais là bien présent. Au bout de ma course, la lourde porte se referma, étrangement, sans bruit. Je m'assis sur mon lit. Le visage de Lily, le regard de Potter, se superposant, à la fois désapprobateur, méfiant et suppliant, hantait ma vision. Malgré moi, mon corps se replia sur lui-même, prostré dans une cape noir charbon.

Alors je laissais la nuit et l'ombre m'avaler.
Alors des larmes – si longtemps contenues – s'écoulèrent dans l'oubli,
sans un sanglot,
sans un seul bruit.